Alors que les multinationales de la semence détiennent plus de 60 % du marché mondial des graines et des pesticides associés, les paysans luttent toujours pour préserver leur autonomie alimentaire et celle de chacun par l’usage de semences paysannes qu’ils multiplient et sélectionnent chaque année.
Le profil des artisans semenciers
Le concept d’artisan traduit la notion que c’est la même personne qui décide et qui exécute. Dans le domaine agricole, le terme « artisanal» désigne à la fois une forme particulière de savoir-faire, de maîtrise technique d’outils simples, tels que l’usage de tamis pour l’étape du nettoyage, usage associé à des gestuelles propres à chaque espèce de graines. Le terme d’artisan trouve aussi son sens parce que tout est réalisé à petite échelle, de la taille des parcelles de production à la quantité de semences produites par espèce. Ce modèle agricole à échelle humaine permet aux producteurs de réaliser les observations et actions nécessaires à une sélection de qualité à chaque étape de la culture.
Le profil des producteurs-multiplicateurs
Chez les premiers, on compte en moyenne une trentaine d’espèces qu’ils cultivent en veillant à maintenir les isolements nécessaires pour éviter les croisements involontaires. Par exemple, ils ne cultiveront pas côte à côte plusieurs variétés allogames telles que les carottes, courges, piments ou tournesols… Les premiers comme les seconds vont au-delà de la simple production, ils font, en éliminant les «hors-type », un travail de sélection qui vise à maintenir les caractéristiques visuelles d’une variété (forme, taille, couleur). Souvent, ils pratiquent même une sélection améliorante en conservant, comme le faisaient nos ancêtres, les semences des légumes les plus sucrés ou qui se conservent le mieux, ou encore des plus résistants aux maladies pour les semis de l’année suivante. Ce travail de maintenance est indispensable pour ne pas voir disparaître d’anciennes variétés : celles qui ne répondent pas aux exigences de la production industrielle sont progressivement éliminées du Catalogue officiel des espèces et variétés végétales ou n’y ont même jamais été inscrites. C’est notamment le cas des variétés de tomates cœur de bœuf de Nice, Flammée Blush, ou du poivron violet Oda…
L’intérêt majeur de l’usage des semences paysannes est qu’elles gardent en mémoire l’information génétique de leurs conditions de culture. C’est ce qui leur donne la capacité à s’adapter à leur terroir ainsi qu’aux pratiques du paysan-multiplicateur qui les produit d’année en année en partant de la génération précédente. Certains producteurs orientent leur sélection sur la capacité d’une variété à être productive même en situation difficile, avec peu d’irrigation et une fumure limitée. Souvent ils cultivent leurs porte-graines en respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique, ce qui leur permet, entre autres, de mieux valoriser leurs récoltes.
Les semences paysannes biologiques
L’intérêt de la production de graines en agriculture biologique s’inscrit dans une démarche globale. Soit nous continuons à engraisser une agriculture intensive, non respectueuse de l’homme et de l’environnement, soit nous prenons conscience que nous faisons partie d’un tout et qu’il y a bien un être humain derrière les petites graines que l’on sème. Ce producteur, cette productrice souhaite travailler en respectant sa santé et celle de ses terres et aussi évidemment pouvoir en vivre décemment. Certains jardiniers font le choix de se fournir au moins cher, fermant les yeux sur la provenance de leurs graines alors même qu’ils font attention à la biodiversité dans leur propre jardin. C’est vraiment dommage…
Consommer des semences paysannes biologiques, c’est encourager un modèle agricole résilient, soutenir des paysans qui s’investissent pour le faire exister et bénéficier de leur travail de sélection. Travail de sélection méthodiquement mené avec une passion et une rigueur incroyable pour que les graines, ainsi produites, puissent profiter à leurs futurs utilisateurs ainsi qu’aux générations suivantes.
Après les récoltes, quelles sont les étapes par lesquelles les graines passent avant d’arriver dans les mains des utilisateurs ?
La particularité du métier d’artisan semencier est qu’il suit tout le cycle de vie de la plante, de la graine à la graine. Le travail y est rythmé par le cycle des saisons. Souvent, le premier atelier en tout début d’année est celui de la planification des cultures où seront définies les variétés qui seront multipliées, annuelles, bisannuelles et vivaces. Pour obtenir les quantités de semences souhaitées, on détermine le nombre de porte-graines nécessaires à la production. Par exemple, pour un lot de 100 g de laitue (environ 100 000 graines), il faudra mettre en culture une vingtaine de porte-graines. À partir de l’été et jusqu’au début de l’hiver, les lots de semences sont récoltés à un stade de maturité et de séchage optimal pour être acheminés vers l’atelier de tri. Se met alors en œuvre tout le savoir-faire nécessaire au nettoyage de chaque espèce, le tri des graines de courges est différent de celui des carottes ou de celui des poireaux, ou encore de celui des œillets. La multiplicité des connaissances se poursuit à l’atelier de la germination où chaque lot est testé selon son besoin spécifique pour garantir une faculté germinative normée. Une fois la qualité des graines validée, elles sont ensachées. Toutes ces étapes doivent être réalisées avant la saison de commercialisation qui s’étend essentiellement de la fin de l’hiver au début de l’été. Il ne faut pas hésiter à se renseigner sur les méthodes de travail des différents semenciers et à encourager ceux qui réalisent ce minutieux travail manuellement. Il ne faut pas oublier que les graines sont vivantes et qu’elles nécessitent jusqu’au bout un soin particulier, garant de leur qualité. Quand vous ouvrez un sachet de graines, pensez aux nombreuses mains qui les ont manipulées avant vous.
Les entreprises coopératives
Parmi les acteurs qui promeuvent et commercialisent des semences paysannes biologiques, certains ont réfléchi à développer des fonctionnements internes qui suivent d’autres formes de gouvernance. C’est le cas des associations, des SCIC et des SCOP qui permettent la participation de tous au projet commun en garantissant des principes d’égalité, de solidarité et de respect entre salariés, associés et producteurs. Par exemple, les SCOP (sociétés coopératives et participatives) se structurent sur la volonté d’une gestion coopérative symbolisée par l’équité entre personnes et le partage démocratique du pouvoir : une personne = une voix, et cela quel que soit l’apport de chacun au capital. Ce système affirme la résolution de faire de l’entreprise une structure au service de l’intérêt de l’ensemble des associés et non pas une structure destinée à maximiser le profit des dirigeants de l’entreprise. Ce modèle de structure professionnelle n’est pas nouveau, mais il prend actuellement de l’ampleur à l’heure où la société capitaliste génère toujours plus d’inégalités et de souffrances au travail. Ce fonctionnement coopératif est particulièrement pertinent lorsqu’il s’applique au secteur d’activité de l’artisanat où la valeur créée est le fruit du travail de l’ouvrier. Dans le cas des artisans semenciers, cette valeur sociale supplémentaire se met au service des semences paysannes, elle renforce la notion de mieux-vivre en encourageant une autonomie alimentaire de qualité. Cela confirme que jardiner peut devenir un acte politique.
Ce sont les engagements qu’ont décidé de prendre les Semences de l’Ombelle !